Dans un corps à corps
Être fil et avancer à travers l’indicible,
le silence solitaire, en enroulant la corde autour de la main, rêne de sa vie, traversant les paysages offerts ».
Marion Collé, Être fil, 2018.
Être fi l et avancer à travers l’indicible,
le silence solitaire, en enroulant la corde autour de la main, rêne de sa vie, traversant les paysages offerts ».
Marion Collé, Être fil, 2018.

Marjolaine Salvador-Morel m’a décousu le cœur. Elle m’a entrainée sur une sente étroite, balancée au bout de son fil, embarquée dans un univers merveilleux où le végétal, le minéral et l’animal se répondent et s’emmêlent.

 

Marjolaine Salvador-Morel a tendu son fil de nylon entre l’amibe, l’étoile et mon âme, et j’ai pu sentir le cosmos vibrer. Dans un éclat lumineux, son aiguille, projetée vers le ciel, attrape des astres, son aiguille jaillit de ses doigts pour nous relier les uns aux autres dans le temps et l’espace, son fil de pêche nous hameçonne l’œil.

 

Dans son œuvre, nos cœurs et le monde battent au même rythme paisible, heureux de partager les mêmes racines, de communier dans un même émerveillement. Le sien. Celui de la petite fille qui n’a jamais cessé d’arpenter la campagne, de s’y fondre et d’y voler des émotions et des épines.

 

Et si nous n’étions là que pour cela, pour nous émouvoir face à la beauté du monde, pour admirer et vibrer en harmonie ? Tous, les vivants et les morts…

 

Oui, Marjolaine Salvador-Morel m’a décousu le cœur, elle l’a bourré à craquer de toutes les petites merveilles éparses qu’elle a dénichées sur son chemin buissonnier : ces cocons, ces pistils, ces étamines, ces folioles, ces vrilles, ces ailes, qu’elle a dévorés du regard et traduits en fil d’or et de nylon.

 

Être une artiste, c’est inventer une langue pour dire le monde, une langue que chacun comprendra alors même qu’elle est neuve et singulière.

 

Les mots de Marjolaine sont de fil et de verre, l’artiste revisite la dentelle à l’aiguille, elle en garde la précision, l’inouïe délicatesse, elle reste en lien avec un savoir-faire ancestral, mais la voilà qui utilise un fil énorme pour denteler, et son œuvre se fait monumentale, les minuscules points où tant de femmes se sont tué les yeux pendant des siècles, nous accrochent le regard, nous nouent étrangement, tout devient perceptible alors même que son fil de prédilection est transparence. Ses sculptures lient le visible et l’invisible, elles attrapent la lumière. L’œuvre de Marjolaine se contemple de loin comme de près, elle est macroscopique et microscopique, à mi-chemin entre l’étoile et la spore.

 

Marjolaine est l’araignée qui nous prend dans sa toile et nous ligote, elle nous emmaillote dans ses folles sécrétions, elle est dangereuse car elle nous offre un univers qui nous métamorphose, nous rappelle que nous ne sommes que poussière, mais poussière d’étoile et tous faits de la même beauté, de la même texture, tous accrochés au même fil.

 

Nous venons toutes deux du textile, j’ai travaillé le texte, ce tissu de mots, elle a travaillé la texture, entrelacé les fibres, tissé l’or, le nylon, et le verre, avec les fibres de nos cœurs qu’elle finit toujours par recoudre après les avoir emplis de bonheur.

 

Carole Martinez
Être fi l et avancer à travers l’indicible,
le silence solitaire, en enroulant la corde autour de la main, rêne de sa vie, traversant les paysages offerts ».
Marion Collé, Être fil, 2018.